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La mer de Skyring

Une note d’Alexandre

Le vent s’est levé en quelques minutes. De 5 petits nœuds, il est monté à 25 ou 30, levant la mer, laissant éclater l’écume. Il était 16h30 ce mercredi 13 mai. Nous venions de naviguer toute la journée dans des conditions de mer difficiles et la distance parcourue restait ridiculement faible. Mais la journée avait été bonne. Parce qu’à midi, les éleveurs de l’Estancia Skiring, où nous nous étions arrêtés pour discuter, nous avaient offert une sorte de pot-au-feu, mais plus encore parce que nous avions un peu avancé, et ce quelle que soit la distance.

Voilà trois jours que nous attendions sur le rivage que le vent se calme, 25 nœuds, et nous n’étions partis que depuis seulement quatre jours. Dans ces circonstances, ce mercredi était un jour heureux car il lançait véritablement l’expédition. Cette longue attente à regarder défiler les nuages n’a pourtant pas été inutile. À force de chercher des solutions à la situation, d’autres trajets sur la carte, nous en sommes venus à mieux comprendre notre propre parcours.

Pour parvenir, par voie maritime et par le sud, aux canaux de Patagonie, il ne semble y avoir que deux possibilités : l’extrême ouest du détroit de Magellan, le plus esthétique mais le plus périlleux en kayak, et la mer de Skiring, avec un portage à son débouché, où nous nous trouvons. C’est cette attente qui me fait prendre conscience de ce que représente cette mer, une porte d’entrée vers les territoires tant souhaités.

Et quelle porte. Depuis le départ, nous avons en ligne de mire, plein ouest, l’île Escarpada. Constamment masquée par les nuages, nous n’avons qu’à admirer la palette de bleu-gris qu’elle nous propose tandis que la mer vire au noir. Si j’ai la sensation que ce mercredi marque le lancement de l’expédition, le jeudi qui suit en est le révélateur. Jusqu’au soir, nous allons tenter de nous adapter au mieux au climat et aux conditions pour grappiller mètre après mètre notre itinéraire. En une journée, nous avons navigué par 30 nœuds de vent, tiré nos kayaks le long de la côte, réalisé un portage au-dessus d’une colline et enfin piqué un sprint final en kayak à la tombée du soleil. Cette épuisante journée me révèle ce que doit être notre voyage : une perpétuelle adaptation au milieu.

Enfin, une journée d’un calme relatif nous permet de planter la tente en face de cette fameuse île Escarpada. Protégée par d’impressionnantes falaises sur sa face est, sa forme caractéristique en U me fait penser aux îles de pirates de mon enfance. Tortuga en Patagonie, l’idée me laisse songeur, et le fantôme du corsaire Drake, qui naviguait en ces eaux, plane sur mon kayak. En si bonne compagnie, la semaine à venir sera peut-être celle de la fin de la mer de Skiring, l’entrée dans les canaux de Patagonie.

Suite de ce texte dans Bascule dans les canaux patagons