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Alexandre Chenet – 23 août 2008

Glacier noir

Nous descendons sous la pluie.
Nous venons d’être chassé par des trombes d’eau transformant notre bivouac, en haut du glacier Noir – Écrins –, en piscine.
Dans une petite heure il fera nuit noire.
Nous sommes sur la moraine, cette crête qui longe le glacier à plusieurs mètres au-dessus de son niveau. Le chemin des Incas, comme j’aime à le penser. Les Andes en France, le dépaysement est fabuleux.
Sur notre gauche, en contre bas, le ruisseau est devenu torrent. L’orage dans la pénombre est toujours plus beau. Quelques chamois nous regardent passer. Je suis euphorique.
J’aime ces moments où l’on vit tous les sens en éveils, où la nature nous fait ressentir ce que nous aimons, ce que nous vivons.
Des éclairs tombent sur la face ouest du Monestier face à nous. De grandes zébrures illuminent la face. On s’arrête. Extatique.
L’hélicoptère du PGHM arrive. Son projecteur éclaire la falaise. Il pleut des cordes. Repérés. Une cordée de 4 grimpeurs coincée par les éléments qui font la sarabande juste sur leur tête !
Nouveau projecteur pour éclairer la scène, 4 hélitreuillages réussis alors que la nuit est définitivement noire.
Le petit ruisseau enjambé à la montée est devenu torrent. De pierres en pierres on le passe comme un tour de magie.
Deux heures sont passées et nous arrivons au camion.
Mon état jubilatoire n’est toujours pas retombé.
Deux lacets sur la route. Cette nuit nous n’atteindrons pas Ailefroide. Un névé a explosé sous la pression de l’eau qui dégouline du ciel. Une coulée de boue, de roches et de neige s’est abattue sur la route. De 40 à 60 mètres de large, 2 à 8 mètres de haut. C’est énorme.
Nous dormirons là.
Longtemps que je n’avais pas eu de telles sensations.
Longtemps que je n’avais ressenti la puissance de la nature.
Longtemps que je n’avais été aussi heureux, comme si mon corps allait imploser ne pouvant retenir la joie qu’il contenait.
C’est quand la Patagonie ?