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7 mai

Une note d’Alexandre

Il est 18 heures, la nuit est tombée depuis plus d’une demi-heure. Je rentre pour la dernière fois à la pension Independencia, par ces rues légèrement en pente qui m’écartent du Détroit. Une plaque de gel sur le trottoir me surprend. Depuis que le soleil a disparu, marcher dans la ville est devenu plus hasardeux. Dans une semi-pénombre entretenue par un éclairage municipal palot, je vis notre second départ en quelques semaines, Paris et mes proches, puis Punta Arenas pour la mise à l’eau.

Je ne suis pas pressé car à présent l’échéance est fixée, demain. À moins que le verglas qui s’épaissit ne nous empêche de rejoindre, en camionnette, notre point de départ, à 60 km de là, vers l’ouest.

La rue Balmaceda où les bordels et autres maisons à lanterne rouge ne sont pas encore ouverts. Où les poubelles sont déjà sorties au plus grand bonheur de quelques chiens qui les éventrent discrètement, de peur de se faire repérer par un humain. Où les deux petits arbres, récemment plantés sur l’espace de terre séparant le trottoir pavé de la rue, juste avant d’atteindre l’avenue, s’apprêtent à subir leur premier hiver.

L’avenue España, où je tourne à main gauche, avec son terre-plein central où il est plus facile ce soir de marcher, la glace sur la terre se craquelant plus aisément que sur le bitume des trottoirs. La boucherie, dont les vitrines exhibent crânement ces veaux écorchés, fait feux de ses spots jaunes et bleus pour attirer le passant. Le Pali Aïke, se prépare au match de la U* de ce soir. Une rencontre avec cette équipe ou celle de Colo Colo attire forcément les buveurs habitués de l’établissement. Les murs du bar sont bien trop fins pour taire le bruit des supporters, cette nuit les tambours vont résonner dans le quartier.

Les dessins peints sur les murs, au croisement d’España et d’Independencia, annoncent la sortie du quartier. C’est une association pour les jeunes dont les inscriptions clament : « c’est avec nos rêves que l’on fait avancer le monde ». La pension lui est mitoyenne.

Le chemin qui mène au jardin est toujours boueux, le froid ne l’a pas encore tout à fait durci. Les kayaks sont là, sur la gauche, recouverts d’une fine épaisseur de glace, leur couleur vive tranche dans le décor. Deux marches et me voilà à la porte. Derrière, toute la petite troupe qui compose cette pension doit être en pleine effervescence. C’est l’heure où les uns rentrent de l’usine, les autres sont sous la douche ou déjà en train de cuisiner. Par ce froid, les chats, les trois, doivent être installés sur l’un ou l’autre des rebords de fenêtres, au spectacle. Les premiers flocons tombent du ciel, ils tiennent au sol, je tourne la clef dans la serrure. Avec les premières neiges nous partons.

* Club Deportivo Universidad de Concepcion, club de foot chilien (note du traducteur…)