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21 mars 2009

Interview par e-voyageur

Le site e-voyageur.com a réalisé un dossier spécial sur l’expédition.
Il est composé d’un article en 3 points, aventure, but du périple et l’équipe, et d’une interview.

L’article a ceci d’intéressant qu’il transcrit ce que peut être pareille aventure dans l’imaginaire des gens, en l’occurrence ici, les auteurs de l’article.
Pour la véracité des faits et ce que nous même projetons de ce voyage, mieux vaut toutefois se reporter à notre site.

Ci-dessous, l’interview dans sa version originale :

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Vous avez choisi la Patagonie pour son milieu naturel (mer, montagne, glace) et pour son isolement face aux civilisations. D’autres pays possèdent ces atouts, alors pourquoi l’Amérique du Sud ?

Inti Salas Rossenbach : La Patagonie, ce n’est pas qu’un choix géographique. Cette région scintille dans mon imaginaire depuis toujours. C’est une histoire qui a commencé par les récits paternels dans les brumes du Cap Horn et qui s’est poursuivie par les livres de Luis Sepúlveda, Bruce Chatwin, Francisco Coloane, Oswaldo Bayer… C’est l’endroit où Magellan, à travers son détroit, trouvera le passage pour le premier tour du Monde, où l’humanité prendra la Terre toute entière dans ses voiles. C’est une région de conjonctions : météorologiques, géographiques, historiques et humaines, littéraires… et qui fait écho à nos histoires personnelles. C’était suffisant pour qu’elle s’impose.

Alexandre Chenet : Pour ma part, j’ai grandi dans un quartier de Paris où vivaient de nombreux immigrés en provenance de ce continent. Dans mes tous proches amis, je compte des Argentins, des Péruviens, des Boliviens, des Chiliens.
Et au Chili justement, il y a l’histoire de Pinochet, soutenu par les Etats-Unis, qui arrive au pouvoir, en 1973, à la suite d’un coup d’état. Face à lui, il y a des militants qui vont vivre dans la clandestinité et combattre en risquant leur vie. En France, c’est, entre autre, les syndicalistes de la CGT qui mettent en place des filières pour sauver et accueillir ces résistants. Parmi eux, il y a le père d’un de mes amis, qui réussit à quitter la prison de Punta Arenas, où il était enfermé pour activisme, et à rejoindre la France.
En 2003, la première fois où je me suis rendu là-bas, j’avais en tête toutes ces cultures qui sont, de fait, liées à la mienne, à mon éducation et à ma construction.
En 2009, pour cette expédition, en y retournant pour la troisième fois, j’ai toujours en tête ces immigrés. Et si on les a qualifiés à l’époque de politique, je les associe à tous ceux qui, aujourd’hui, vivent en France, dans la clandestinité, à nos côtés, sans bien souvent que nous le sachions ou que nous cherchions à le savoir. Aujourd’hui on ne les appelle plus immigrés “politiques”, on les appelle immigrés “économiques”, mais la différence n’est que rhétorique. C’est la même histoire que celles de mes copains ou de leurs parents, les mêmes privations, les mêmes souffrances. Et l’accueil intolérable que nous leur réservons à présent me choque particulièrement. Eux aussi je les ai et les aurais en tête, ici et là-bas.

Alexandre et Inti, avez-vous déjà participé à une aventure similaire ? D’où vous est venue cette idée ?

Alexandre Chenet : C’est sûr que ce n’est pas en me réveillant un matin que je me suis dit « Tiens, je vais aller pagayer au bout du monde ». Ce projet arrive dans la continuité de notre évolution. Evolution différente pour nous deux d’ailleurs et c’est entre autres ça qui fait la richesse de cette aventure.
Nous sommes deux, nous avons des parcours différents, nous avons des motivations et des envies différentes, nous avons même des approches et des manières de pensées parfois opposées et pourtant, nous y allons à deux. Et évidemment, sur la provenance de l’idée de cette expédition, nous n’aurons certainement pas la même réponse.
Si vous prenez cette mince bande que forme cette partie de la Patagonie coincée entre le Pacifique et la Cordillère des Andes, vous vous rendrez compte qu’on peut facilement la diviser en trois parties. Au Nord, vous avez 800 km de forêt, aussi dense qu’une jungle, avec des essences de type continental. Seule une route, la carretera australe la traverse du nord au sud. Au centre, vous avez les glaciers San Valentin, Norte et Sur qui forment une continuité de 400 km recouvrant toute la largeur de cette bande. C’est une zone infranchissable si on excepte les quelques expéditions qui ont réussi la traversée, et souvent aidées par une logistique lourde et coûteuse. Au sud, vous avez le Détroit de Magellan et la Terre de Feu, dont les images sont, peut-être, plus connues que pour les deux autres zones. Cette troisième partie rejoint la Patagonie argentine. La Cordillère, qui s’est enfoncée dans l’océan au niveau des glaciers, ne fait plus barrage entre les deux territoires.
En 2003, je suis allé découvrir la partie Nord, avec un copain. On a essayé de traverser toute cette zone à pied, par la route mais aussi par la forêt, un peu plus de 2 mois de randonnée. En 2005, seul cette fois-ci et en hiver, j’ai passé plus d’un mois dans les montagnes de la partie Sud. Alors, pour boucler la boucle, j’ai eu envie de rallier la partie Sud à la partie Nord. Envie de découvrir ces îles et ces fjords, que je n’ai fait qu’entr’apercevoir.

Inti Salas Rossenbach : Non, pas d’aventure similaire. J’ai navigué un peu, j’ai erré ça et là ; une fois, je suis même allé à Cosne-sur-Loire. Mais jamais je ne suis parti dans de telles conditions. Sans doute ce voyage me permet-il d’exprimer des élans atrophiés par une société aseptisée et sécuritaire, sans utopies qui prennent forme socialement. Si nous avions été en 1936, j’aurais été en Espagne, pas en Patagonie. Mais intimement, aux sources d’un tel voyage il y a une incorrigible curiosité du monde.

Pourquoi avez-vous choisi de parcourir la Patagonie en kayak ? Vous serez contre les vents dominants, c’est un choix plutôt risqué ?

Alexandre Chenet : Nous voulions avancer au rythme de la marche. C’est un rythme qui permet d’apprécier ce qui nous entoure, de bien ressentir l’étendue et l’ampleur de l’aventure. Marcher sur l’eau n’étant pas, encore, possible, nous nous sommes tournés vers le mode de navigation qui nous semblait le mieux répondre à cette attente.

Inti Salas Rossenbach : Au début du projet, le kayak apparaissait comme le meilleur moyen pour le rythme que nous souhaitions. Mais au terme de la préparation, nous pouvons dire que c’est le seul possible pour un parcours tel que nous le voulions. Nous ne pouvions pas aller à pied, la côte est tout à fait impraticable ; un voilier est trop volumineux pour entrer dans certaines anfractuosités du littoral et réaliser les portages à travers certains isthmes ; si nous avions pris une petite embarcation à moteur, le carburant nécessaire aurait limité notre autonomie ; le yacht, c’était trop bling-bling. Le kayak est parfait. De fait, les indiens nomades de ces régions se déplaçaient en canots.

Alexandre Chenet : Pour le sens des vents, c’est une bonne illustration de nos motivations. Nous avons imaginé ce parcours sans trop nous soucier de la réalité physique du terrain. Nous avons écouté nos envies et, en l’occurrence, “remonter” à partir de ce bout du monde nous a semblé le plus intéressant, le plus esthétique et le plus porteur de sens.

Inti Salas Rossenbach : Le choix était donc de remonter du sud au nord, et nous avons choisi la saison pendant laquelle les vents sont a priori les plus cléments, l’hiver austral. Le risque du vent n’est pas a proprement parler un risque de navigation, c’est un risque concernant notre progression. Mais nous sommes patients.

Vous avez décidé de partir en duo, à bord de 2 kayaks pour remonter la Patagonie. Finalement vous ne serez pas seul face aux éléments, pourquoi ce choix ? Pourquoi ne pas partir en solitaire ?

Alexandre Chenet : Seul peut aussi s’écrire seuls. On sera seuls en comparaison de ce que l’on est dans notre vie de tous les jours, entourés de gens, inscrits dans une vie sociale, etc. On sera seuls, également, face à nos problèmes et nos interrogations. On n’aura pas la possibilité de faire appel à un tiers ou d’aller feuilleter un livre pour nous aider. Peut-être que la meilleure définition de cette aventure est « seuls, en autonomie ». En autonomie uniquement, ne fait pas référence à la solitude intellectuelle, c’est pourquoi, je pense, il faut garder le binôme : seuls et autonomie.

Inti Salas Rossenbach : Initialement, le choix du duo est un choix de sécurité. Pour un kayakiste, prendre un bain en mer tout seul est une situation qui peut vite devenir critique. Mais ici encore, arrivant au terme de la préparation de l’expédition, je crois que nous pouvons dire que nous n’aurions pas pu en faire ce que nous en avons fait si nous l’avions montée chacun de notre côté. Mais nous sommes tous les deux assez solitaires (ce qui a par exemple déterminé notre choix de deux kayaks monoplaces, et non d’un biplace) ; je pense que nous serons souvent en situation de solitude accompagnée…

Selon vos termes, ce périple est avant tout philosophique. Pour vous, c’est une sorte de pèlerinage. Que recherchez-vous exactement dans cette aventure ?

Inti Salas Rossenbach : Par philosophique, j’entends simplement que nous nous fixons une exigence de réflexion, et non uniquement de description de ce que nous aurons vécu. A vrai dire, ce n’est que transposer là-bas ce que nous essayons de faire ici. Ce n’est absolument pas un pèlerinage : nous ne savons pas ce que nous trouverons et n’avons jamais cru aux apparitions de Vierges immaculées. Modestement, je m’impose simplement d’essayer de penser, à l’écart des clichés ou des modes du moment. Or comme toute pensée qui ne soit pas purement spéculative ou métaphysique se nourrit de l’expérience, vécue ou lue, cette exigence de réflexion s’imposait.

Alexandre Chenet : Et voici LA grande question. C’est tout naturel que vous nous la posiez, c’est même une évidence. Mais c’est aussi tout naturel qu’on ne puisse pas vous répondre, du moins pas avec exactitude comme vous nous le demandez.
Je peux vous apporter des centaines de réponses. Elles seront, à mon sens, toutes justes. Et elles seront toutes intimes et même si intimes et si personnelles que beaucoup sont certainement de l’ordre de l’inconscient.
Pour moi, le terme de philosophie fait référence à cette envie de comprendre cet incompréhensible. J’espère que ce voyage va nous permettre d’échafauder, ou non, des pistes de réflexions et de compréhensions de qui nous sommes nous-même, mais aussi nous dans la société.
Je vous dirais aussi que je vais chercher l’absence de repères. Lorsque nous ne sommes plus stimulés par tout un tas d’événements, ou d’objets de la vie quotidienne, les réflexions qui nous viennent sont plus claires, et peut-être aussi plus justes. C’est souvent au moment le plus inattendu que survient l’idée qui va débloquer le problème qu’on a en tête depuis un moment. C’est tout bête comme instant, sous la douche, dans le métro ou à vélo, mais réussir à faire perdurer cet état est très compliqué.
J’ai l’impression qu’en me lançant dans ce genre d’aventure, j’arrive à retrouver, dans la durée, cet état où mes réflexions s’amusent, se concentrent, ne sont plus embarrassées par autre chose que ce à quoi je réfléchis, consciemment ou inconsciemment.
Je l’ai expérimenté en voyages et je crois aussi l’avoir retrouvé dans différents écrits. Je vous citerais “Au bout de la peur”, un livre de Geoffroy Moorhouse qui m’a beaucoup marqué. Egalement, Charles Darwin, dans son “Voyage d’un naturaliste autour du monde”, me semble évoquer ce genre de sensations.
Et je ne dis pas qu’il faille aller tout là-bas, ou monter toute une expédition, pour vivre ces instants dans la durée. Je dis que pour moi, il m’est plus facile d’y parvenir ainsi. Ce n’est pas non plus une recette magique, peut-être que je ne trouverais pas cela durant ce voyage. Mais dans ce cas, je suis persuadé que je trouverais autre chose. Quelque chose de différent.
Et, vous avez du le remarquer, nous sommes deux personnes qui intellectualisons beaucoup. Trop peut-être parfois. Alors c’est amusant de tenter ce genre d’expérience.

Une équipe vous suit depuis plusieurs mois pour préparer cette aventure (médecins, ingénieurs, moniteurs de kayak…). Une certaine pression pèse sur vous, ressentez-vous une quelconque peur, face aux éléments ou face à vos possibilités personnelles ?

Inti Salas Rossenbach : Vous parlez d’équipe et en effet, qu’ils soient tous chaleureusement remerciés, ainsi que nos sponsors : ils sont indispensables à ce qu’est devenu Patagonia 2009, et sans eux, pas grand’chose n’aurait été possible.
Quant aux peurs, si bien j’en ai, avant le départ qui approche, elles n’ont rien à voir avec ce que je rencontrerai là-bas.
Notre langage est ici un peu limité. Il faudrait que nous disposions de mots distincts pour désigner les peurs et craintes liées à « l’avant » des peurs immédiates, celles de l’action. Face à ce que nous vivrons en Patagonie, je n’ai aucune des premières ; il est par contre certain que j’aurai des secondes, dans l’action. Les premières, souvent, inhibent et favorisent l’inaction. A l’inverse, les peurs en situation sont souvent une précieuse aide à la décision, des alertes qui tiennent en éveil et, finalement, permettent d’éviter l’incident. Quant à mes “possibilités personnelles”, c’est une histoire entre moi et moi, et je vous assure qu’on n’est pas d’accord.

Alexandre Chenet : Déjà, comme l’a souligné Inti, merci à l’équipe, tous bénévoles, dont vous parlez fort à propos.
Vous nous parler de pression, mais je ne sais pas ce qui vous fait dire qu’une pression pèse sur nous. Je m’en mets une certes, mais je crois que personne ne vient m’en mettre une. Quant à la peur, c’est vrai, j’en ressens une. Celle de l’échec. Mais si je vous dis ça, il faut que je vous définisse ce qu’est pour moi l’échec.
Depuis quelque mois, il n’y a, dans ma tête, plus qu’un échec possible. Ce serait de ne pas débuter l’exploration, ne pas réussir à quitter Punta Arenas. Problèmes d’autorisations ou de matériel ou de tout ce que l’on peut inventer comme barrières administratives. C’est le seul cas de figure que je veux, aujourd’hui, appeler échec. Si l’on part de Punta Arenas, ne serait-ce que pour une journée avant d’abandonner, parce que trop dur, pas assez préparé ou je ne sais quoi, alors ce ne sera pas un échec. De la déception certes, mais pas un échec. On a déjà tellement découvert de choses en mettant en place toute cette expédition, on a rencontré tellement de gens, on a appris… C’est déjà énorme.
La notion d’échec est d’ailleurs intéressante. Il y a quelques années, pour moi, l’échec aurait été de ne pas atteindre Coyhaique, comme nous nous le sommes fixés. En cumulant les sorties, en montagne notamment, j’ai acquis le sentiment que l’échec n’était pas de ne pas aller au bout. L’échec, c’est de ne pas commencer un projet parce que l’on se met, par anticipation, des interdits ou parce que les conditions obligatoires mais annexes, l’administratif par exemple, n’ont pas été réunies par manque de travail.
En regardant en arrière, je constate que 50 % de mes sorties en montagne se sont arrêtées bien avant leur fin imaginée. Une sortie prévue d’une semaine s’est parfois traduite par une nuit unique sous la tente puis retour au point de départ. Et dans ma tête, ce ne sont pas des échecs. Ces abandons m’ont souvent apporté beaucoup plus que les réussites.
Dans le cas de Patagonia 2009, je dois avouer que j’ai bien réussi mon coup. J’ai défini mon niveau d’échec par un point essentiel, celui de l’obtention des autorisations pour effectuer le parcours. En nous partageant les tâches, Inti et moi, je me suis débrouillé pour que ce soit Inti, justement, qui se charge de cette partie ! Ma peur de l’échec repose donc sur ces épaules. Pratique non ?

Durant l’expédition, comment pourrons-nous être au courant des avancées du projet ?

Alexandre Chenet : Un des points essentiels était de partager cette expérience. Nous avons donc mis en place des relais pour pouvoir discuter, échanger, partager.
Le site www.patagonia2009.com sera le moteur de cette communication. Vous pouvez d’ailleurs déjà vous y rendre. En plus de ce qui concerne directement l’expédition, vous y trouverez une bibliographie commentée de la littérature traitant de la Patagonie. Vous pourrez y lire aussi des articles sur l’histoire des Indiens ou sur la météo, quelques photos à regarder et quelques surprises glissées ici ou là.
Pendant l’expé, l’émission "Allô la planète" sur France Inter nous accueillera régulièrement en direct et d’autres émissions nous contacteront sporadiquement.
Des magazines, tel que Voiles et Voiliers, publieront des articles et des sites Internet suivront mensuellement les évolutions.
Le plus simple est encore de ce rendre sur la page "communication" du site :
http://www.patagonia2009.com/expe/-communication-.html
et de s’inscrire à la newsletter :
http://www.patagonia2009.com/expe/contact.php

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Le site e-voyageur :
http://www.e-voyageur.com
L’article sur le site e-voyageur :
http://www.e-voyageur.com/magazine-voyage/portrait-de-voyageurs/patagonia.htm
Merci à eux et à elles.