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Un nom de torero

Luis Sepúlveda

Luis Sepúlveda est l’auteur de l’enivrant Neveu d’Amérique, livre qui lance le cœur et l’esprit dans le voyage, la découverte et l’aventure. Pourtant, le style de Sepúlveda n’est pas à mon goût, me semble trop approximatif, peut-être trop attendu, le travail se lit derrière les lignes et les enchaînements de situations. Les traductions de François Maspero ne me semblent pas devoir être mises en question, les quelques versions originales que j’ai lues ne m’ont pas plus enthousiasmé. Et pourtant, quel fabuleux Neveu d’Amérique.
En 2010, plus de quinze livres de Sepúlveda sont déjà publiés dont la grande majorité sont des polars. Le polar ne m’a que rarement touché, je m’y ennuie, l’impression d’un jeu auquel l’on m’impose le rôle de spectateur.

Un nom de torero est un polar de Luis Sepúlveda et ce n’est pas pour le seul fait que son final se déroule en Patagonie que j’ai le plaisir de le proposer à votre lecture. L’auteur installe son récit en constants allers-retours entre l’Europe, l’Allemagne et l’Amérique du Sud, la Patagonie, cette dernière semblant résolument propice à la conjonction des éléments, des climats, des hommes…
"Un nom de torero" est un polar dont le genre évolue systématiquement en western lorsque l’action se déroule sur les terres patagonnes. La géographie du lieu imposerait-elle son genre littéraire ? Étonnant, d’ailleurs, de noter la rareté des westerns patagons, pourtant lieu rêvé pour ce genre. Mais les frontières assurément sont poreuses, occasion d’ouvrir une parenthèse pour citer la mise à l’écran, en western, par Hector Olivera du Patagonie rebelle d’Osvaldo Bayer. J’aime le western, je me mets à aimer ce polar au nom de torero.

Luis Sepúlveda, entre autre, est naît au Chili, a fui son pays, combattu des dictatures, s’est réfugié en Europe, a élu domicile en Allemagne. Ce polar est un voyage des démons de l’Europe, le nazisme et les guerres de religions, vers les démons de l’Amérique du Sud, ses tortionnaires et ses disparus.
Luis Sepúlveda est un exilé et l’étude de ce statut social, humain, politique, constitue la trame de nombre de ses livres (tous ?) dont Un nom de torero fait partie. Sujet abrupt, souvent traité de manière vaine et caricaturale par la fiction, l’auteur ne tombe pas dans le piège et puise dans son vécu pour créer avec brio des histoires enrobant avec douceur ses points de vue souvent définitifs.

Un nom de torero propose quelques très belles scènes sous le vent patagon, des relations humaines quelque peu grandiloquentes et une définition de l’exil passionnante.

une note d’Alexandre

Extrait
Je le laissais passer. Il alla au radiateur, se pencha, défit un boulon, des gouttes d’une eau huileuse coulèrent du trou, il rajusta le boulon, tâta toutes les faces, hocha la tête, empoigna un walkie-talkie et lança dans le plus pur chilien :
–La cagamos, huevón, Te lo dije, over. ¿ Cómo ? O sea que yo tengo que ir por todos los pisos dando explicaciones. A mí no me entienden, huevón, over.
Ce qui peut se traduire approximativement par : "On a fait une connerie, mon vieux. Je te l’avais bien dit, over. Quoi ? que je fasse tous les étages pour donner des explications ? Ils comprennent rien quand je cause, couillon, over."

Extrait
S’exile celui qui n’a connu qu’un côté de la médaille et qui persévère dans son erreur bien au-delà du moment où il l’a comprise : mais quand il a traversé tout le tunnel et découvert que les deux bouts sont également obscurs, il reste prisonnier, collé comme une mouche au papier tue-mouches.

Extrait
– Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Frère Franz, je t’absous de tous tes péchés. Nous savons peu de choses de toi, beaucoup de détails de ta vie nous resteront probablement à jamais inconnus, mais il entre peut-être dans les desseins de Dieu que cette immensité reste pleine de secrets. Tu as commis le pire des péchés, tu t’es ôté toi-même la vie que seul le Seigneur pouvait te retirer. Mais je t’absous quand même. Dieu ne regarde jamais du côté de la Terre de Feu. Amen.

Un nom de torero, Luis Sepúlveda, Éditions Métailié, traduit de l’espagnol (Chili) par François Maspero, publié, en France, en 1994

Voir également les articles Le neveu d’Amérique de Luis Sepúlveda et Le Monde du bout du monde de Luis Sepúlveda.

Vous pouvez écouter, et visionner, une lecture d’une œuvre de Sepúlveda, Le Neveu d’Amérique, sur cette page.