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Terre de Feu (t1. L’Archer rouge, t2. Les Noctambules)

David B. (scénario) & Micol (dessin)

David B., l’un des scénaristes les plus précis, méticuleux, et inventifs de ces vingt dernières années, fou, sachant réunir les publics, totalement en marge des sujets romanesques ordinaires, ayant le savoir de la dramaturgie, jamais meilleur que lorsqu’il écrit pour un dessinateur ou une dessinatrice, s’associe avec Hugues Micol, ce dessinateur capable de surprendre à chaque projet par un mélange sans équivalent entre style pictural vieillot – et même moche, bariolé, vulgaire, disons le – et une étonnante lisibilité, équilibre des planches, toujours sur un fil qu’il semble être le seul à voir et savoir tenir. On s’attend dans un projet futur à son explosion populaire, car un jour viendra où Micol sera acclamé par tous les publics. Voici pour les auteurs.

Les deux se retrouvent pour un western patagon, à n’en pas douter le genre le plus adapté à la Patagonie orientale, Osvaldo Bayer et sa Patagonie rebelle ou Patricio Manns et son Cavalier seul ne s’y étaient pas trompés. Et dans ce western, David B. s’engage avec ses thèmes de prédilection, l’attente et l’ésotérisme, le mysticisme aussi. Il met en place deux espaces, le dedans, celui d’un manoir écossais, incongru dans une steppe de hautes herbes et le dehors, cette steppe qui surplombe des falaises plongeant dans la mer où s’ébattent des icebergs aussi haut que des immeubles.
Au dehors, l’aventure s’active, des flèches fusent, des barques fugitives affrontent les tempêtes, des chevaux s’écroulent et des hommes aussi, il y a le vent, évidemment, et la vitesse est permanente. Les hommes révèlent une bonne part de leur caractère, notre empathie va pour les uns et les autres, ils peuvent alors devenir mutiques, emphatiques ou grotesques une fois avoir rejoint la civilisation du manoir, qu’importe nous les accompagnons alors avec plaisir et envie de surprise dans la comédie humaine qui s’y joue. Dans ce dehors, l’histoire ne se construit pas, il n’y a que les conclusions de ce qui a été construit au-dedans, qui surviennent, guidées par les rudes faits de la nature patagonne.

Les deux auteurs, aussi bien par le scénario que par le dessin, dressent des portraits humains extrêmement forts, que ce soit pour les personnages de premier plan que de second. Les crasseux sont crasseux, les incultes sont incultes, la saleté est dans les visages, les corps, les habits, les chevaux puent comme les chevaux puent toujours, nous y sommes, le vivant est parfaitement incarné. Et Micol, encore plus rare peut-être, a su donner à la nature la force du vent et des éléments. Le spectacle offert ne déçoit pas, grandiose, beau et sale.

On peut parier que les deux auteurs n’ont pas dû ou n’ont dû que peu traîner leurs basques en Patagonie. Rien n’est réaliste, rien n’est logique, rien ne se peut dans cette histoire, nous sommes dans le mythe patagon pur. Le mythe et uniquement le mythe. Et nous ne médirons pas sur ce mythe, pourquoi un mythe aussi faux soit-il serait-il à dénigrer. C’est le mythe qui nous fait nous intéresser à un lieu bien avant la réalité de ce lieu. David B. et Micol font vivre ce mythe, mélangent à l’envie les ingrédients aussi incohérents soient-ils mis côte à côte, et le résultat est un mythe patagon enrichit.
On trouve les figures de l’histoire de Patagonie, ces milliers d’immigrés venus de l’Europe la plus improbable. On trouve des indiens autochtones avec respects, déchéances et orgueils qui semblent être réellement de ces contrées, pas d’incohérence avec les indiens d’autres espaces d’Amérique du Sud ou du Nord. On trouve les personnages de David B., les tables sont prêtes à tourner, les folies psychiatriques s’épanouissent, le mysticisme bat son plein sans nous étouffer. Les icebergs sont l’incarnation de leur propre mythe et n’ont rien de réalistes. L’herbe haute et magnifique, vraiment, Micol dessine avec virtuosité l’herbe haute de la pampa du sud de la Patagonie.

Et pour les aficionados, nous retrouvons Lowatt. Mince, Lowatt ! Le Lowatt de La Révolte d’Hop-Frog (1997) et des Ogres (2000), ces deux livres, chef d’œuvres de David B. avec Christophe Blain au dessin, parus dix ans avant cette histoire. Cela fait plaisir mais nul besoin de connaître ces albums pour lire Terre de Feu.

Un petit bémol dans tous ces éloges tout de même : les Dime Novels, les feuilletons écrits pendant la conquête de l’Ouest aux États-Unis pour la population restée à l’Est du continent et rêvant de cet inconnu qui se passait plus à l’Ouest, là où ils n’avaient pas osé s’aventurer. Ces Dime Novels apparaissent, comme une anecdote, dans les premières pages du tome 1. Malheureusement. Cela nous sort du récit et raccroche cette histoire au western nord-américain, comme si un western patagon ne pouvait se suffire à lui-même. Comme si l’un était le petit frère de l’autre et devait lui payer son tribut. Mais ce qui fait un western c’est le décors où il se déroule, la nature, et ses conséquences, et l’époque, la conquête du territoire, pas le lieux géographique. Cette intrusion de Dime Novels est donc totalement anachronique, historiquement, mais aussi pour le mythe patagon. Le mythe patagon n’a rien de commun avec celui de la Conquête de l’Ouest, ce sont deux mythes qui vivent leur vie sans se croiser même si ces deux mythes, bien souvent, attirent les mêmes lecteurs. Dommage donc, même si l’histoire racontée censément (véritablement ?) extraite d’un de ces Dime Novel ne manque pas de force.

Vous l’aurez donc compris, Terre de Feu nous a totalement emporté. Mais. Car il y a un mais important, primordial.
Terre de Feu n’est pas fini et ne le sera certainement jamais. Le tome 1 met en place de nombreuses pistes, très différentes les unes des autres et qui s’imbriquent à merveille. On a donc l’envie de les suivre, d’arriver à leur dénouement. Le tome 2 arrive au terme de certaines sans nous convaincre, je ne peux croire que des pistes aussi bien troussées n’avaient pour but que de nous amener là, si sans intérêt là. David B. est un scénariste qui nous emporte – il l’a toujours fait – bien au-delà. Et tant de piste qui sont laissées en suspens, de personnages qui n’ont pas de vie. Alors que penser de ce deuxième tome toujours aussi virtuose au dessin, avec des séquences scénaristiques prises indépendamment les unes des autres très fortes mais au final ne bouclant pas et bâclant cette histoire que l’éditeur pourtant annonce finie à l’issue de ces deux albums ?
Je n’ai pas la moindre information et pourrais dresser une liste d’hypothèse sans fin, à quoi bon. Ce qui est sûr est que de mon point de vue Terre de Feu n’est pas fini et que le scénario du deuxième tome me semble bien en deçà des qualités de David B.

Deux albums a apprécier donc, bien que leur lecture débouchera sur une désagréable frustration.

Terre de Feu. Tome 1 : L’Archer rouge. Tome 2 : Les Noctambules. David B. (scénario) & Micol (dessin). Futuropolis, avril 2008, 72 pages pour le tome 1, novembre 2009, 64 pages pour le tome 2.

une note d’Alexandre