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Le Golfe des Peines

Francisco Coloane

une note d’Inti

Dix-huit courtes nouvelles de Coloane, qui, de son style épuré, façonnent les mythes de Patagonie… et nous donnent nombre de précieuses informations pour nos navigations. Mythique ? Je me méfie de ce terme, le marketing s’en est emparé. Pourtant, chez Coloane, c’est bien de mythes dont il s’agit : « Hautes murailles des Andes aux pics qui chutent abruptement. Plus hautes que celles du Caucase où fut enchaîné Prométhée pour avoir tenté de voler le feu aux dieux. Des mousses et des lichens couvrent la roche jusqu’au niveau des plus hautes marées. Puis ce sont des algues où s’accrochent les ongles de noyés. Carcasses de bateaux échoués. Blancheur des neiges éternelles miroitant sur des crêtes lugubres. Précipices… » (Le pas de l’abîme, nouvelle éponyme d’un endroit où nous passerons).
Dans la nouvelle Une stèle en bois est évoqué le souvenir de la « Grande Grève » des années 20 qui secoua les estancias de Patagonie (que Osvaldo Bayer narre dans Patagonia Rebelde) : « Pour la Grande Grève, ça a été bien différent. On connaissait l’organisation des ouvriers, il y avait parmi eux des anarchistes espagnols et des argentins rompus aux luttes sociales. Ils faisaient la tournée des estancias et poussaient les travailleurs à s’engager dans les commissions, si bien que le mouvement prenait de l’ampleur. Ils collectaient des armes, des vivres et de la viande pour leurs longues randonnées ».
Vie et dignité.
Puissent les européens imiter, dans l’accueil de leurs immigrés, certaines « fréquences » des patagons : « En vérité, Susana ne s’était jamais souciée de son nom, ce qui est fréquent dans les Magallanes où les gens, dit-on, "viennent de partout et de nulle part" » (Pedro Soldado).

Editions Points, 1997, 177 p., français, traduit de l’espagnol

PS : Coloane ne parle pas de ce qui suit, mais l’anecdote me parait à sa place ici. Le Golfe des Peines est un golfe ouvert sur l’océan Pacifique. Là, impossible de faire route à l’abri des canaux. Réputé pour sa difficulté, il est aux marins de Patagonie ce que le Golfe de Gascogne est aux marins navigant au large de l’Europe. En pire sans doute, vu la fréquence du mauvais temps. Son nom, Golfo de Penas, endroit des peines, paraît particulièrement bien choisi. Il semble pourtant que son nom original était Golfo de Peñas (grandes pierres naturelles). Mais les premières cartes maritimes internationales de l’endroit ont été faites par les anglais… qui n’ont pas le caractère « ñ ». Le golfe serait donc devenu celui des peines, penas, et le nom serait resté. Si les tenants de cette explication ont raison, la typographie à fait œuvre de vérité.

Vous pouvez écouter, et visionner, une lecture d’une œuvre de Coloane, Le Passant du Bout-du-Monde, sur cette page.