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Un livre

Dès la fin de notre expédition j’ai commencé un autre voyage. Un voyage plus long que prévu, semé d’embûches, pourvoyeur de doutes. Il ne s’est achevé que très récemment, par un point final posé sur une feuille : le manuscrit du récit de mon voyage est terminé.

Plus de deux-cent pages au fil desquelles j’essaie de raconter ce que fut notre périple, de décrire les endroits et les conditions que nous avons connus, les gens que nous avons rencontrés, les sentiments et pensées qui m’ont parcourus.

A ce jour, je ne peux dire ni où ni quand le livre sera publié. Si vous avez des idées, des recommandations, une imprimerie ou une confrérie de copistes oisifs, ça peut m’intéresser.

Pour suivre les péripéties de ce manuscrit qui veut devenir livre, vous pouvez me retrouver là : http://www.facebook.com/public/Inti...

Plus bas vous trouverez aussi deux extraits issus des premières pages…

Patagoniquement vôtre,

Inti SALAS ROSSENBACH


Sortir

Quatre-vingt-quatorzième jour de l’expédition. Le temps venait à manquer. Je commençais à le compter. Nous cherchions la sortie du Golfo de Penas. Mais ce matin-là, j’étais parti pour rester toute la journée sous la tente : notre équipe à terre nous avait annoncé cinquante nœuds de vent en fin de journée. « N’y allez pas » avaient été leurs mots. Jamais ils n’avaient été si catégoriques.

Alexandre s’était levé. Pour tenir notre décision, il fallait y aller, il avait raison. Nous ne devions pas mollir. Continuer à nous réapproprier notre voyage. Un bras de mer à franchir, après ce devait être plus calme. Nous devions quitter le Golfe, et retrouver les longs et étroits fjords, nos archipels connus.

J’hésitai face à l’état de la mer, quelque chose ne me plaisait pas. Mais comme je ne réussis pas à savoir quoi, nous y sommes allés. Ce fut une de nos plus grosses navigations. Limite. J’ai vu la mer comme je ne l’avais jamais vue, complètement marbrée. Le vent plaquait les embruns, les renvoyait à l’eau ; ils se traînaient alors en zébrures irrégulières et mouvantes, presque douces. C’était rude, et beau. Une fois la traversée réussie, la situation s’apaisa un peu. Nous naviguions entre les williwaws, presque heureux de retrouver ces diables de vents en lieu et place des déferlantes du Golfe.

À plusieurs reprises, nous avons dû nous mettre en radeau pour subir le passage d’un grain. Ils arrivaient brusquement, peut-être d’un nuage un peu plus gris que les autres, ou un peu plus grand, je ne sais plus, je n’ai jamais su ; ils arrivaient, mais je ne les voyais pas venir. En quelques instants un vent coupant nous battait violemment le visage et les gouttes de pluie filaient presque à l’horizontale. Nous nous accrochions alors à nos kayaks, chacun à celui de l’autre, dérivant en faisant le gros dos. Nous nous tenions bien fort et riions de retrouver l’action, la vie, l’aventure, et de faire face plutôt que de nous planquer comme des raisonnables. Ce même jour, dans un canal dont j’ai oublié le nom tellement nous l’avons vite parcouru, poussés par le vent, j’ai à nouveau vu, senti sur mon visage, une bien étrange mer. Elle était telle que j’imagine un paysage lunaire. Une fine couche d’embruns vaporisés tapissait tout le canal et aplatissait curieusement les vagues. La mer semblait comme couverte d’un nappage blanc qui ondulait comme les draps d’une furieuse nuit de noces. Elle était si belle. J’aimerais pouvoir prêter mes souvenirs, il est des images qui ne se racontent pas.

[...]

Nous passâmes en revue notre matériel : avarie de gouvernail (qui restait cependant fonctionnel) et kayak qui prenait l’eau pour moi ; nos deux combinaisons étanches ne l’étaient plus, cul et bras perpétuellement mouillés, espérance de vie sensiblement réduite en cas de chavirage ; le GPS ne disait plus rien, il n’avait pas aimé une immersion prolongée ; la carte marine de la zone où nous étions trempait en permanence, et se délitait ; porte-carte déchiré ; nos bottes étaient trouées ; nos pantalons n’étaient plus imperméables ; de la condensation avait envahi ma radio VHF ; un nombre indéterminé de nos rations journalières étaient gâtées ; tout rouillait ; la tente était trouée, stigmates de rencontres avec des souris, et toujours presque aussi humide à l’intérieur qu’à l’extérieur ; mon sac de couchage, mes affaires et mes carnets de notes ne sécheraient plus jusqu’à la fin des temps ; nos bouts flottants s’effilochaient ; les œuvres complètes de Spinoza avaient augmenté de deux centimètres d’épaisseur, philosophie à l’eau de mer. Je redoutais les nuits à venir. Constamment trempé, je devrais dormir tout habillé, tenter de récupérer au moins quelques heures dans mon duvet mouillé. Il faisait cinq degrés Celsius. La situation n’était pas encore critique, mais commençait à devenir un peu pénible. Le moral était tapissé de doutes ; mais nous n’étions pas encore blessés.